PROPRIETAIRES BAILLEURS : QUAND PATIENCE RIME AVEC PRUDENCE
Publié le :
26/01/2024
26
janvier
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01
2024
Quels sont les risques encourus par un propriétaire-bailleur qui poursuit l’expulsion de son locataire commercial par l’effet d’une décision non irrévocable ?
C’est à cette interrogation que répond la 3ème chambre civile de la Cour de cassation aux termes de son arrêt du 25 janvier 2023 (n°21-19.089) dont la solution incite à la plus grande prudence tant les conséquences peuvent s’avérer redoutables pour le bailleur.
La situation est la suivante.
Une SCI bailleresse poursuivait l’expulsion de son locataire commercial en exécution d’un arrêt rendu en référé le 1er octobre 2015 et confirmant une ordonnance qui constatait la résiliation de deux baux consentis à ce dernier par suite de l’acquisition du jeu de la clause résolutoire et ordonnait l’expulsion des lieux loués.
En dépit du pourvoi formé par le preneur à l’encontre de cet arrêt, la SCI a pris le risque de poursuivre l’exécution forcée de celui-ci et le preneur était effectivement expulsé.
L’arrêt du 1er octobre 2015 était toutefois cassé par la Cour de cassation et la cour d’appel de renvoi infirmait l’ordonnance de référé.
En d’autres termes, la décision qui avait ordonné l’expulsion du preneur et au vu de laquelle la SCI bailleresse avait effectivement mené à bien la procédure d’expulsion, était remise en cause.
L’ancien preneur à bail faisait alors délivrer assignation à la SCI en réintégration dans les lieux et indemnisation des préjudices subis.
Parallèlement, la SCI procédait à la vente de l’immeuble au profit d’une société tierce de sorte que la réintégration du preneur évincé devenait impossible.
La restitution devait alors s’effectuer par équivalent et ce conformément à l’article L111-10 du Code des procédures civiles d’exécution dont on rappellera ici les dispositions :
« Sous réserve des dispositions de l’article L311-4, l’exécution forcée peut être poursuivie jusqu’à son terme en vertu d’un titre exécutoire à titre provisoire.
L’exécution est poursuivie au risque du créancier. Celui-ci rétablit le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent si le titre est ultérieurement modifié ».
Cette restitution par équivalent impliquait d’indemniser la société locataire au titre de la perte de son fonds de commerce appréciée selon les méthodes applicables en matière d’indemnité d’éviction.
La locataire formulait toutefois une demande complémentaire de dommages et intérêts au titre de la perte du chiffre d’affaires qu’elle aurait pu réaliser si elle était restée en possession du fonds.
La Cour d’appel de Paris n’a pas fait droit à cette demande au bénéfice de la motivation suivante.
« L’article L111-11 du Code des procédures civiles d’exécution ne permet que la restitution et, si elle est matériellement impossible, une réparation par équivalence. En l’espèce, les locaux litigieux ayant été donnés à bail le 30 juin 2016 à effet au 1er juillet 2016, il s’ensuit que Mme B indemnisée de la perte de son fonds de commerce, intervenue à la date de son expulsion, ne peut au surplus être indemnisée des gains qu’elle aurait obtenu si elle était restée en possession du fonds. Elle sera en conséquence déboutée de ce chef de demande ».
Saisie sur pourvoi de la locataire, la Cour de cassation censure cette décision en considérant que la privation de la possibilité de poursuivre, dans les locaux, une activité commerciale jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction (la référence à l’indemnité d’éviction n’est ici qu’une analogie puisqu’il ne s’agissait pas d’une procédure de cette nature) en méconnaissance du droit du locataire au maintien dans les lieux, occasionne à ce dernier un préjudice qu’il appartient au juge d’évaluer.
Si l’on poursuit le raisonnement par analogie, il faut rappeler que lorsqu’un preneur à bail commercial est en droit de prétendre au paiement d’une indemnité d’éviction à la suite d’un congé avec refus de renouvellement, il est fondé à se maintenir dans les lieux et donc à poursuivre l’exploitation de son fonds jusqu’à ce que cette indemnité lui soit réglée par le bailleur.
Or, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser que le preneur, qui n’a pu poursuivre son activité jusqu’à la date de paiement de cette indemnité en raison de manquements du bailleur à ses obligations, peut solliciter la réparation du préjudice qui en résulte, lequel est distinct de celui que vient compenser le paiement de l’indemnité d’éviction.
C’est exactement ce raisonnement qu’adopte la Cour de cassation dans son arrêt du 25 janvier 2023 en considérant que le preneur, dont l’expulsion a été poursuivie sur le fondement d’une décision ultérieurement infirmée, est fondé à solliciter :
→ l’indemnisation de son préjudice résultant de la perte de son fonds de commerce appréciée comme il est d’usage de procéder en matière d’évaluation d’indemnité d’éviction
→ mais également des dommages et intérêts au titre de la perte de chiffre d’affaires qui aurait pu être réalisé s’il avait été laissé en possession de son fonds
Cet arrêt illustre une nouvelle fois l’importance du risque que prend le bailleur en faisant le choix de procéder à une expulsion en vertu d’une décision non irrévocable, peu important qu’il s’agisse d’une ordonnance de référé même confirmée en appel, d’un jugement au fond exécutoire par provision mais frappé d’appel ou encore d’un arrêt d’appel pour lequel le délai de pourvoi ne serait pas expiré.
Au regard des conséquences susceptibles d’être encourues (dans l’arrêt commenté, la perte de chiffre d’affaires avait été chiffrée à 2.430.000 €), nous ne pouvons qu’inciter les propriétaires bailleurs à s’armer de patience et donc à ne pas poursuivre l’expulsion de leur preneur tant que la décision de justice fondant cette expulsion ne sera pas devenue définitive.
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