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Barreau de Bordeaux

Les enseignements à tirer de l’arrêt de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation du 26 novembre 2023 : application de la sanction du réputé non écrit et absence de responsabilité du notaire

Publié le : 05/01/2024 05 janvier janv. 01 2024

Le contexte est le suivant.

Par contrat de réservation en date du 10 décembre 2002 réitéré par acte authentique de vente en l’état futur d’achèvement dressé le 31 octobre 2003, des époux préalablement démarchés par un promoteur, ont acquis une villa au sein d’une résidence de tourisme exploitée par la société Gestion patrimoine loisirs.

Parallèlement et par acte sous-seing privé du 10 décembre 2002, les propriétaires ont donné la villa à bail commercial à l’exploitant de la résidence de tourisme pour une durée de neuf années commençant à courir à compter du lendemain de l’achèvement de l’immeuble.

Ce bail commercial, rédigé par un agent immobilier, contenait une clause aux termes de laquelle le preneur renonçait à son droit à une indemnité d’éviction en cas de congé avec refus de renouvellement délivré par les bailleurs.

A l’issue de la première période de 9 ans, et en l’absence de demande de renouvellement du preneur ou de congé du bailleur, le bail se poursuivait tacitement.

Le 23 septembre 2014, les bailleurs faisaient délivrer un congé avec refus de renouvellement sans offre d’indemnité d’éviction à effet au 31 mars 2015 (rappelons en effet que lorsque le congé est donné en période de tacite prolongation, il prend effet au dernier jour du trimestre civil éloigné de plus de 6 mois de sa date de signification).

La société exploitante faisait alors délivrer assignation aux propriétaires afin d’obtenir la condamnation de ces derniers au paiement d’une indemnité d’éviction, considérant que la clause de renonciation à une telle indemnité stipulée au contrat de bail, devait être réputée non-écrite.

Les propriétaires appelaient en garantie le promoteur et le notaire.

A cet égard, une précision s’impose.

La loi dite « PINEL » du 18 juin 2014 a modifié l’article L145-15 du Code de commerce en substituant à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement et à indemnité d’éviction leur caractère réputé non écrit.

La conséquence de cette substitution de sanction est importante dans la mesure où l’action en nullité d’une clause ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement et à indemnité d’éviction était soumise à la prescription biennale de l’article L145-60 alors que l’action fondée sur le caractère réputé non écrit d’une clause est imprescriptible.

La Cour d’appel de Poitiers a fait droit à la demande du preneur en réputant non écrite la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction, retenant par ailleurs que le notaire avait manqué à son devoir de conseil en s’abstenant d’attirer l’attention des propriétaires sur la nullité d’une telle clause au regard des dispositions impératives du statut des baux commerciaux.

Les bailleurs ont alors formé un pourvoi, le notaire formant quant à lui un pourvoi incident.

S’agissant en premier lieu de l’application de la sanction du réputé non écrit aux baux en cours, la Cour de cassation vient confirmer la solution dégagée à l’occasion d’un arrêt du 19 novembre 2020 (n°19-20.405) en rappelant que la loi PINEL qui, en ce qu’elle a modifié l’article L145-15, a substitué à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement, leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours, et l’action tendant à voir réputée non écrite une clause du bail n’est pas soumise à prescription.

La haute juridiction poursuit en indiquant que « ayant constaté que le bail s’était tacitement prorogé et que le congé avait été valablement délivré par les propriétaires le 23 septembre 2014, soit postérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi, la cour d’appel en a exactement déduit que l’action tenant à voir réputer non tendant à voir réputer non écrite la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction n’était pas soumise à la prescription biennale et était recevable ».

En conséquence, l’action du preneur n’était pas soumise à la prescription biennale dès lors que le bail prorogé était en vigueur à la date de publication de la loi PINEL et que le congé faisant naitre le droit à indemnité d’éviction avait été délivré postérieurement à l’entrée en vigueur de ladite loi.

S’agissant en second lieu de la responsabilité du notaire, la Cour de cassation va en revanche censurer l’arrêt d’appel qui avait retenu un manquement de celui-ci à son obligation de conseil, en considérant que « le notaire n’était pas tenu d’une obligation de conseil concernant l’opportunité économique d’un bail commercial conclu par les acquéreurs sans son concours, ni de les mettre en garde sur le risque d’annulation d’une clause de ce bail qui était sans incidence sur la validité et l’efficacité de l’acte de vente qu’il instrumentait ».

La solution dégagée sur ce point aurait assurément été différente si le notaire avait été le rédacteur du bail commercial litigieux.

Par ailleurs, et quand bien même cela ne concerne pas directement l’arrêt en question, il peut être intéressant d’apporter la précision suivante.

En dépit de la sanction encourue (nullité avant l’entrée en vigueur de la loi PINEL et désormais réputé non écrit), certains baux consentis au profit d’exploitants de résidences de tourisme contiennent effectivement une clause de renonciation du preneur au paiement d’une indemnité d’éviction, clause dont le propriétaire ignore sincèrement l’inopposabilité, lui donnant ainsi l’illusion de pouvoir mettre fin au bail sans contrepartie financière.

Or, il est fréquent que les baux soient rédigés par l’exploitant lui-même qui va donc volontairement insérer une clause de renonciation à son détriment, tout en prenant l’initiative, lorsqu’un congé avec refus de renouvellement sans offre d’indemnité d’éviction lui sera délivré, de le contester et de solliciter le règlement d’une telle indemnité au motif que la clause doit être réputée non-écrite.

La question qui se pose est de savoir si une telle situation peut caractériser un comportement fautif de l’exploitant de nature à le priver de son droit au paiement de l’indemnité.

La jurisprudence a eu l’occasion de se prononcer à ce sujet aux termes notamment d’un arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 19 décembre 2017 qui a condamné l’exploitant au paiement de dommages et intérêts d’un montant égal à celui de l’indemnité d’éviction due par le propriétaire, ordonnant ainsi la compensation entre les deux sommes :

« la SARL … (la société exploitante) est bien la rédactrice du bail type signé par l’ensemble des propriétaires de la résidence. Ce contrat fait partie d’une opération globale visée dans l’objet même du bail qui fait référence à l’acquisition du bien immobilier puis à sa location.

En tant que professionnel, parfaitement rompu aux pratiques et à la conclusion des contrats dans le domaine de la gestion des résidences de tourisme, l’appelante ne pouvait ignorer le caractère d’ordre public des dispositions du statut des baux commerciaux et donc dès la rédaction du contrat, l’inopposabilité de la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction.

Au contraire, les époux X sont de petits investisseurs profanes en matière de baux commerciaux qui pouvait très légitimement croire que cette renonciation constituait un réel engagement du preneur et participait de l’équilibre des obligation réciproques alors qu’il est admis que c’est la rentabilité de l’opération et les avantages fiscaux qui les ont amenés à conclure ledit bail. Or, ils n’auraient manifestement pas donné leur consentement à un contrait qui impliquait le versement d’une somme de près de 16.000€ à l’issue de la période de neuf ans » (n°15/04863).

Un propriétaire pourrait donc, dans une telle situation, échapper indirectement au paiement d’une indemnité d’éviction sous réserve de rapporter la preuve de manœuvres dolosives du preneur ou d’un manquement à son obligation précontractuelle d’information en ayant inséré dans le contrat de bail une clause dont il savait qu’elle ne pourrait lui être opposée.

Historique

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