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Barreau de Bordeaux

Effets de l'ordonnance d'expropriation sur les droits existant sur l’immeuble exproprié

Auteurs : Philippe LIEF, Avocat associé au Barreau de Bordeaux
Publié le : 24/03/2023 24 mars mars 03 2023

Aux termes de l'article L. 222-2 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : "L'ordonnance d'expropriation éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels ou personnels existant sur les immeubles expropriés.".

La nature des droits notamment personnels frappés par cette extinction a donné lieu à un litige qui s'est soldé (sous réserve d’un éventuel pourvoi en cassation) par un arrêt de la 4e Chambre civile de la Cour d'appel de Bordeaux du 21 mars 2023 (no RG 21/00830).

Dans cette affaire, un immeuble à usage commercial avait fait l'objet d'une cession entre deux professionnels, par un acte authentique qui contenait une clause d'obligation générale d'élimination des déchets (« Le vendeur devra supporter, ce qu'il reconnaît, le coût d'élimination des déchets, qu'ils soient les siens, ceux de ses locataires ou précédents propriétaires, pouvant le cas échéant se trouver sur le bien vendu »)

À la suite de cette acquisition, l'acquéreur avait fait réaliser une étude environnementale, qui avait révélé une contamination des sols aux hydrocarbures. 

Une expertise judiciaire ordonnée à la demande de l'acquéreur avait confirmé cette contamination.

Concomitamment, l'acquéreur avait fait l'objet d'une procédure d'expropriation et avait dû consentir à la vente à titre d'utilité publique du bien en cause au profit de l'autorité expropriante.

Dans le cadre de cette vente à titre d'utilité publique, les Domaines avaient émis un avis de valeur infligeant une décote de 150 000 € au vu du résultat des études environnementales, et qui avait été répercutée sur le prix de vente.

À la suite de la vente à titre d'utilité publique, la partie expropriée (acquéreur dans le cadre de la première vente), assistée et représentée par Maître Philippe Lief, de l’AARPI GLLR, avait assigné son propre vendeur en paiement à titre de dommages et intérêts de la somme de 150 000 €, équivalent à la décote retenue dans le cadre de la vente à titre d'utilité publique. 

Dans le cadre de la procédure, le vendeur initial, se fondant sur les dispositions précitées de l'article L. 222-2 du Code de l'expropriation, soutenait que la demande formée à son encontre était irrecevable dès lors que son acquéreur ne disposait plus du droit d'agir, par l'effet de l'ordonnance d'expropriation qui avait selon lui éteint tous droits réels et personnels existant sur l'immeuble.

L'acquéreur demandeur objectait pour sa part qu'il exerçait une action en responsabilité contractuelle à l'encontre de son vendeur, qui ne s'était pas transmise de droit avec l'immeuble, en l'absence de clause en ce sens dans le cadre de la vente à titre d'utilité publique.

La Cour fait droit à l'argumentation de l'acquéreur demandeur par la motivation suivante :
 
« Contrairement à ce que soutient la société intimée, cet acte authentique n'a pas créé au bénéfice de la (société acquéreur) un droit personnel sur l'immeuble vendu, mais a fait naître en sa faveur une créance à l'encontre du vendeur, au titre d'une obligation de faire.

L'ordonnance d'expropriation n'a pas eu pour effet d'éteindre de plein droit à cette créance ».

La solution est logique, mais méritait d'être affirmée, une confusion pouvant naître des termes de l'article L. 222-2 du Code de l'expropriation publique en ce que celui-ci évoque de manière générique « tous droits réels ou personnels existant sur les immeubles expropriés ».

En effet, un droit personnel est parfois lié à un droit réel ; ainsi l'obligation de réparation de l'usufruitier envers le nu-propriétaire, qui pèse sur l'usufruitier en tant qu'il est titulaire d'un droit réel (l'usufruit), à l'égard du nu-propriétaire.

On peut également citer le cas du locataire d'immeuble. Le droit du locataire d'immeuble est un droit personnel, teinté de caractère réel puisque l'article 1743 du Code civil dispose que le locataire peut opposer son droit à l'acquéreur du bien.

Aussi, lorsque le Code de l'expropriation, dans son article L. 222-2 alinéa 1, évoque les droits personnels existant sur les immeubles expropriés, il vise essentiellement le cas des contrats de location, qui créent des droits personnels entre bailleurs et locataires, s'exerçant sur un immeuble déterminé.

Dans l'affaire commentée, le droit de créance que détenait l'acquéreur sur le vendeur (obligation d'élimination des déchets se trouvant sur le bien vendu) était un droit personnel pesant sur le vendeur, et non un droit réel pesant sur l'immeuble, ni encore un droit personnel s'exerçant sur l'immeuble. C'était en tout et pour tout un droit personnel qui ne s'exerçait que contre le cocontractant. 

Ce droit personnel ne pouvait donc avoir été éteint par l'effet de l'ordonnance d'expropriation.

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