Commerces concernés par une interdiction d’ouverture pour cause d’épidémie de coronavirus covid-19 : faut-il payer le loyer ?
Publié le :
08/04/2020
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Nous avons évoqué, dans le cadre d’un précédent article, la question de la suspension des loyers des locaux commerciaux et professionnels pendant l’épidémie de COVID-19 et ce à la lumière des textes actuellement en vigueur.
Pour rappel, deux ordonnances doivent être distinguées.
En premier lieu, l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 qui est un texte de portée générale concernant toutes les entreprises. Celle-ci ne prévoit pas de suspension des loyers mais contient une disposition qui affecte leur recouvrement par le bailleur.
Concrètement, toutes les entreprises bénéficient d’un sursis à la résiliation de leur bail commercial ou professionnel jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire. Il s’agit en conséquence de paralyser toute action du bailleur, ce qui entraine une suspension de fait du paiement des loyers.
En second lieu, l’ordonnance n°2020-316 qui ne concerne que les entreprises susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité prévu par l’ordonnance n°2020-317 et pour lesquelles est instauré un sursis à la résiliation de leur bail commercial ou professionnel jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire.
La question se pose toutefois de savoir quelles sont les entreprises concernées.
Il faut pour répondre à cette question se référer au décret n°2020-371 du 30 mars 2020 dont l’article 1er fixe pas moins de 9 conditions :
- Début d’activité avant le 1er février 2020
- Absence de dépôt d’une déclaration de cessation de paiement à la date du 1er mars 2020
- Effectif inférieur ou égal à dix salariés
- Montant du chiffre d’affaires constaté lors du dernier exercice clos inférieur à 1 million d’euros
- Bénéfice imposable n’excédant pas 60.000 € au titre du dernier exercice clos
- Les personnes physiques ou, pour les personnes morales, leur dirigeant majoritaire ne doivent pas être titulaires, au 1er mars 2020, d’un contrat de travail à temps complet ou d’une pension de vieillesse et n’ont pas bénéficié, au cours de la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020, d’indemnités journalières de sécurité sociale d’un montant supérieur à 800 €
- Absence de contrôle par une société commerciale au sens de l’article L 233-3 du Code de commerce
- Si l’entreprise concernée contrôle une société commerciale au sens du même article, la somme des salariés, ces chiffres d’affaires et des bénéfices des entités liées doivent respecter les seuils fixés au 3°, 4° et 5°
- L’entreprise n’était pas, au 31 décembre 2019, en difficulté au sens de l’article 2 du Règlement UE n°651/2014 de la commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité.
Si ces conditions sont réunies, alors les entreprises concernées pourront prétendre au bénéfice du fonds de solidarité et donc aux mesures prévues par l’ordonnance n°2020-316.
Toutefois, une précision de taille doit être apportée.
Le décret n°2020-378 du 31 mars 2020, pris en application de l’ordonnance n°2020-316 et relatif « au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de COVID-19 » met en évidence un problème d’articulation avec le décret n°2020-371 relatif aux bénéficiaires du fonds de solidarité.
En effet, ce décret n°2020-378 prévoit que les mesures favorables prévues aux termes de l’ordonnance n°2020-316 (sursis à la résiliation du bail pendant un délai de deux mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire) peuvent bénéficier aux personnes physiques et morales exerçant une activité économique « remplissant les conditions et critères définis au 1° et 3° à 8° de l’article 1er et aux 1° et 2° de l’article 2 du décret n°2020-371 ».
En d’autres termes, il faut que les entreprises réunissent 7 des 9 conditions ci-dessus évoquées (la 2ème et la 9ème étant écartées) et qu’elles remplissent les deux conditions visées à l’article 2 du décret n°2020-371 à savoir : interdiction d’ouverture au public et perte de 50 % au moins du chiffre d’affaires.
En conséquence, la condition alternative pour prétendre au bénéfice du fonds de solidarité est devenue une condition cumulative pour bénéficier de la suspension, jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire, des sanctions pour non-paiement des loyers.
Quoi qu’il en soit, il faut retenir qu’à ce jour, aucun texte ne permet à une entreprise même visée par une interdiction d’ouverture et qui, de fait, a cessé son activité, d’être exonérée du règlement de ses loyers pendant la période de fermeture puisque dans le meilleur des cas, les entreprises concernées ne pourront bénéficier que d’un sursis à la résiliation de leur bail jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire.
En théorie, ces entreprises pourraient donc être poursuivies par leurs bailleurs si elles ne régularisent pas leur situation à l’issue du délai susvisé.
Les dispositions textuelles actuellement en vigueur ne permettant pas à une entreprise, même frappée par une interdiction d’ouverture, d’être exonérée du règlement de ses loyers, la question se pose de savoir si d’autres « outils juridiques » sont susceptibles d’être invoqués par les locataires.
La force majeure
Aux termes de l’article 1218 du Code civil, il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.L’évènement doit donc être :
- extérieur
- imprévisible
- irrésistible
D’une manière générale, la jurisprudence se montre assez réticente à retenir le critère d’irrésistibilité dans l’hypothèse d’une épidémie.
Cela étant, l’ampleur de la situation actuelle est relativement inédite, rendant difficile tout raisonnement par analogie.
Ce qui est certain, c’est que la force majeure ne pourrait être retenue qu’à charge pour le locataire de démontrer que l’exécution de son obligation de payer le loyer a été rendue impossible du fait de la survenance de l’épidémie.
Le simple fait que cette exécution ait été rendue plus difficile serait insuffisant.
Ainsi à première vue, si l’activité d’un locataire est directement concernée par une obligation de fermeture administrative et ne figure pas dans la liste des commerces autorisés à demeurer ouverts, le critère d’irrésistibilité pourrait éventuellement être retenu et ainsi lui permettre de ne pas payer son loyer pendant la période visée par l’interdiction d’ouverture.
Une incertitude demeure toutefois au regard de la jurisprudence qui peine à admettre la force majeure pour justifier l’inexécution d’une obligation monétaire. En effet, la Cour de cassation a déjà jugé que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure (Cass, com, 16/09/2014 n°13-20.306), une telle position s’expliquant par le fait que l’argent, qui est une chose fongible (c’est-à-dire interchangeable) peut toujours être remplacé de sorte qu’il ne serait pas impossible pour le locataire de payer ses loyers
En revanche, si le commerce considéré voit simplement ses activités restreintes (par exemple, les établissements de la catégorie N de l’article 1er de l’arrêté du 14 mars 2020, à savoir les restaurants et débits de boissons, qui peuvent maintenir leurs activités de livraison et de vente à emporter), alors le critère d’irrésistibilité aurait peu de chances d’être retenu puisque dans une telle hypothèse, l’exécution de son obligation par le locataire serait simplement rendue plus difficile sans pour autant qu’il en résulte une impossibilité d’y satisfaire.
Cela étant, ces considérations purement juridiques semblent se heurter à une approche plus pragmatique.
En effet, comme nous l’avons vu, l’ordonnance n°2020-316 applicable aux « petites entreprises », c’est-à-dire celles susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité et parmi lesquelles figurent les commerces frappés par une interdiction d’ouverture, ne prévoit pas une exonération des loyers mais simplement un « gel » du jeu de la clause résolutoire.
Or, une telle disposition, qui a précisément vocation à s’appliquer aux commerces frappés par une interdiction d’ouverture, n’aurait strictement aucun intérêt si l’article 1218 du code civil relatif à la force majeure pouvait être invoqué !
Autrement dit, les dispositions textuelles actuellement en vigueur s’agissant des commerces visés par une interdiction d’ouverture semblent porter en elles-mêmes refus de reconnaissance de cas de force majeure à défaut de quoi elles auraient instauré une véritable exonération et non une simple suspension du paiement des loyers, ce qui apparait d’ailleurs en contradiction avec les déclarations du ministre de l’économie et des finances, Bruno LEMAIRE, qui a récemment annoncé que l’épidémie de coronavirus devait être considérée comme un cas de force majeure pour les entreprises…
En résumé, il est à ce jour très difficile de se positionner sur le point de savoir si la force majeure pourra utilement être invoquée par les locataires concernés par une interdiction d’ouverture pour échapper au règlement de leurs loyers.
Il y a donc là incontestablement un contentieux « en germe » et il faudra attendre les premières décisions qui seront rendues pour apprécier si une tendance jurisprudentielle se dessine.
Quoi qu’il en soit, si un locataire tente de se rapprocher de son bailleur pour négocier une exonération pure et simple de loyer en invoquant la force majeure, ce dernier peut, à notre sens, faire valoir les arguments suivants.
→ que le commerce soit ou non visé par une interdiction d’ouverture, il faut commencer par rappeler les dispositions textuelles actuellement en vigueur qui, même s’agissant des entreprises dont l’activité est suspendue par les autorités administratives, ne prévoient dans le meilleur des cas qu’un « gel » du jeu de la clause résolutoire jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire.
→ si le commerce en question n’est pas concerné par une interdiction d’ouverture ou si son activité est simplement restreinte, alors il faut ensuite faire valoir que la condition d’irrésistibilité de la force majeure n’est pas constituée dès lors que l’exécution par le locataire de son obligation de payer son loyer est simplement rendue plus difficile sans pour autant être impossible.
→ si le commerce est concerné par une interdiction d’ouverture, alors il faut tout de même contester la réunion des conditions nécessaires à la caractérisation d’un cas de force majeure en faisant en outre valoir que les textes en vigueur n’auraient aucun sens si la force majeure pouvait être invoquée. Il est aussi conseillé de se référer à la jurisprudence de la Cour de cassation en vertu de laquelle le débiteur d’une obligation de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure
L’exception d’inexécution
Dans le cadre d’un contrat de bail, le bailleur est tenu à une obligation dite de délivrance, en ce sens qu’il doit s’assurer que le locataire est en mesure d’exercer son activité conformément à la destination contractuelle.Dans l’hypothèse d’un commerce faisant l’objet d’une interdiction d’ouverture, le bailleur n’est plus en mesure de satisfaire à cette obligation.
Or, en vertu de l’article 1219 du code civil, une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.
Ce texte pourrait être invoqué par le locataire qui, excipant d’une inexécution par le bailleur de son obligation essentielle de délivrance, cesserait lui-même d’exécuter son obligation de payer le loyer.
Dans une telle hypothèse, c’est le bailleur qui pourrait être tenté d’invoquer la force majeure en faisant valoir que l’obstacle à la délivrance des lieux loués lui est imposé par l’autorité administrative de sorte qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’une inexécution susceptible de lui être imputée.
Il faut toutefois rappeler que si le débiteur empêché d’exécuter pour cause de force majeure (le bailleur) n’est pas tenu de réparer le dommage éventuellement subi par le créancier (le locataire), il ne peut en revanche exiger de celui-ci qu’il continue à exécuter ses propres obligations.
Autrement dit, même si l’inexécution n’est pas imputable au bailleur, le locataire serait fondé à ne plus exécuter ses propres obligations et donc à cesser de régler ses loyers jusqu’à ce que le bailleur soit de nouveau en mesure de satisfaire à son obligation de délivrance.
Ainsi, l’exception d’inexécution apparait comme un outil juridique plus approprié puisque le locataire n’aurait pas à rapporter la preuve que les conditions de la force majeure se trouvent réunies mais simplement que l’inexécution de son obligation par le bailleur entraine pour lui des conséquences suffisamment graves.
Un tel argument ne devrait toutefois pouvoir prospérer que dans les hypothèses où l’activité du locataire est rendue totalement impossible du fait de l’interdiction d’ouverture au public dont il est frappé.
En effet, la Cour d’appel de Lyon a eu l’occasion de juger que la suspension du paiement des loyers est proportionnelle à l’inexécution de l’obligation de délivrance du bailleur que lorsque le locataire est dans l’impossibilité absolue d’exploiter son fonds dans les lieux loués (22/05/2018, n°17/04756).
Ici encore, seule la jurisprudence à venir permettra d’apporter des éléments de réponse même si l’argument tiré de l’exception d’inexécution apparait comme un outil juridique plus efficace que celui de la force majeure.
Historique
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