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Suspension du paiement des loyers pendant l’épidémie de covid-19 ?

Auteur : Philippe LIEF
Publié le : 27/03/2020 27 mars mars 03 2020

Les loyers commerciaux et professionnels sont-ils suspendus pendant l’épidémie de covid-19 ?

Deux ordonnances du 25 mars 2020 apportent un début de réponse à cette question, l’une applicable à toutes les entreprises, l’autre applicable aux bénéficiaires du Fonds de solidarité.

Concernant toutes les entreprises

L’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 « relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période » est un texte de portée générale, concernant donc toutes les entreprises.
Elle ne prévoit pas de suspension des loyers mais contient une disposition qui affecte le recouvrement des loyers par le bailleur.
L’article 4 de cette ordonnance prévoit que les clauses résolutoires – comme par exemple les clauses de résiliation de plein droit des baux commerciaux applicables en cas de défaut de paiement des loyers - sont réputées n'avoir pas produit effet, si leur date d’effet intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Exemple : un bailleur a délivré le 5 mars à son locataire un commandement de payer des loyers impayés sous un délai d’un mois, sous peine de résiliation du bail.
A défaut de paiement du loyer au plus tard le 5 avril, le bail aurait normalement été résilié, mais compte tenu des dispositions de l’ordonnance, la résiliation est paralysée.
L’ordonnance prévoit que la résiliation n’interviendra qu’à l’expiration du délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire si le locataire n’a pas régularisé sa situation avant cette date.
Si le bailleur a délivré, après le début de l’état d’urgence sanitaire, un commandement de payer des loyers impayés sous un délai d’un mois et sous peine de résiliation du bail, la résiliation du bail devrait également être paralysée jusqu’à l’expiration du délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Conséquence pratique sur l’obligation de payer les loyers : le bailleur peut émettre des factures de loyer, en revanche il ne peut pas provoquer la résiliation du bail.
Sur la possibilité du bailleur de faire une saisie sur comptes du locataire, ou d’assigner en justice pour le paiement des loyers, voir plus bas.

Concernant les « petites entreprises »

L’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 « relative au paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie de covid-19 » concerne les entreprises susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité prévu par une autre ordonnance (n° 2020-317) du 25 mars 2020.
A la date de parution de cet article, le décret instituant le fonds de solidarité n’est pas paru, et les conditions pour en bénéficier ne sont donc pas définitivement arrêtées. Toutefois selon la communication actuelle du Gouvernement, le fonds de solidarité bénéficierait aux petites entreprises qui réalisent moins d'un million d'euros de chiffre d'affaires (TPE, indépendants et micro-entrepreneurs). Celles-ci pourraient bénéficier de cette aide si elles subissent une fermeture administrative ou si elles ont connu une perte de chiffre d'affaires de plus de 70% au mois de mars 2020, par rapport à mars 2019.
Sans prévoir expressément la suspension des loyers, cette ordonnance prévoit que les locataires ne peuvent pas encourir de résiliation de leur bail, et/ou de dommages-intérêts, de clause pénale ou d’astreinte, en cas de défaut de paiement de loyers ou de charges locatives.
De fait par conséquent, l’absence de toute sanction au défaut de paiement des loyers et charges revient à suspendre leur paiement.
Les loyers et charges locatives concernés par cette « suspension de fait » sont ceux venant à échéance entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

En résumé :

  • toutes les entreprises bénéficient d’un sursis à la résiliation de leur bail commercial ou professionnel jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire ;
  • les « petites entreprises » éligibles au fonds de solidarité bénéficient d’un sursis à la résiliation de leur bail commercial ou professionnel jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Ces petites entreprises bénéficient d’une « protection renforcée » au titre des loyers et charges dus sur cette période : interdiction des recours contre les cautions et autres garanties consenties pour le paiement des loyers (hors dépôt de garantie), suppression des intérêts et pénalités de retard ou astreintes.

Réponses à questions sur la suspension du paiement des loyers et charges pendant l’état d’urgence sanitaire

Le bailleur peut-il néanmoins poursuivre le locataire en justice pour le faire condamner au paiement des loyers et charges impayés ?

En principe oui, mais en pratique…
Pour faire condamner son locataire au paiement de loyers, le bailleur doit préalablement le faire convoquer par huissier devant le tribunal judiciaire à une audience à laquelle le tribunal examine la demande de paiement de loyer du bailleur (le bailleur peut également faire délivrer une injonction de payer au locataire, à laquelle le locataire peut faire opposition devant le tribunal).
Or en l’état actuel, compte tenu des mesures de confinement, les huissiers ne délivrent les actes qu’au compte-gouttes.
Par ailleurs, les tribunaux ont cessé leur activité, sauf pour les dossiers extrêmement urgents, ce qui ne concerne pas les demandes de paiement de loyers.
Par conséquent, pendant la période de confinement, les bailleurs sont en pratique démunis de moyens d’action pour recouvrer leurs loyers et charges impayés.

Le bailleur peut-il poursuivre la caution ? Peut-il activer une garantie à première demande ?

Concernant les « petites entreprises », il ne sera pas possible pour le bailleur de poursuivre la ou les cautions du locataire, ni d’activer de garantie à première demande ou autre.

Le bailleur peut-il prendre des mesures conservatoires pour garantir le paiement des loyers et charges impayés ?

Juridiquement les loyers restent dus, rien n’interdit donc au bailleur de prendre des mesures conservatoires pour garantir le paiement des loyers (notamment saisie conservatoire sur compte bancaire ou nantissement judiciaire de fonds de commerce)

Le locataire en période d’observation d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire bénéficie-t-il de la « suspension des loyers » ?

Concernant les « petites entreprises », le locataire en période d’observation d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire bénéficie de la « suspension des loyers ».

Le bailleur peut-il affecter le dépôt de garantie au paiement des loyers et charges impayés ?

Rien n’empêche le bailleur d’affecter le dépôt de garantie au paiement des loyers et charges impayés.
En effet l’ordonnance ne suspend pas au sens juridique le paiement des loyers et des charges, elle interdit seulement au bailleur d’engager une action en justice contre le locataire pour faire résilier le bail et/ou le faire condamner au paiement des loyers. Donc le bailleur peut tout de même récupérer son loyer par tout moyen non interdit, comme la compensation avec le dépôt de garantie.

Que se passe-t-il si le bail prévoit que les loyers et charges sont dus « même en cas de force majeure » ?

Concernant les « petites entreprises », la suspension s’appliquera « nonobstant toute stipulation contractuelle contraire », c’est-à-dire quand bien même le contrat de bail stipulerait que les loyers et charges sont dus même si le locataire est confronté, par exemple, à un cas de force majeure.
Rien n’est prévu concernant les autres entreprises.

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